Des premiers matches diffusés par Canal+ en 1984 au contrat maudit à 1 milliard d'euros de 2020 avec Mediapro, diffuseur défaillant de la Ligue 1, retour sur quatre décennies de bataille rangée pour les droits télé du football français, alors qu'un nouvel appel d'offres est lancé mardi.

1984-1999: Canal+ s'offre l'exclusivité

L'année 1984 est une année cruciale. Jusque là, la Division 1 s'écoutait à la radio plus qu'elle ne se regardait à la télévision. Mais Canal+, première chaîne cryptée lancée dans le paysage, le 4 novembre, s'empare des droits exclusifs du championnat de France de football. La première chaîne privée de l'histoire de la télévision française devient LA chaîne du foot et diffusera une rencontre par journée, le dimanche soir, pour l'équivalent de 800.000 euros par saison au départ.

TF1 se contente des résumés de match le dimanche matin dans son émission Téléfoot, qui devient peu à peu la messe du foot.

1999-2004: Canal-TPS, début des surenchères

"Le monopole ne pouvait pas perdurer", reconnaît le PDG de Canal+, Pierre Lescure, après un conseil d'administration de la Ligue (alors Ligue nationale de football, LNF) en juin 1999. A l'aube du nouveau millénaire, la chaîne cryptée doit partager le gâteau avec un nouveau venu: le bouquet satellitaire TPS, du groupe TF1.

A la LNF, dirigée par Noël Le Graët, on se réjouit de la manne financière, qui se compte déjà à l'époque avec neuf zéros: un total de huit milliards de francs (l'équivalent de 1,2 milliard d'euros) jusqu'à 2004, soit 1,6 milliard de francs par saison (240 millions d'euros).

Pourtant le choix de Canal est contestable: son offre initiale est financièrement moins disante que celle de TPS (1,15 milliard de francs contre 1,85 milliard). TPS est furieux, mais les concurrents finissent par négocier un partage: Canal+ conserve les meilleures rencontres et son magazine "Jour de foot", TPS diffuse le 2e meilleur match par journée et propose six autres rencontres de chaque journée à la carte, comme Canalsat.

2004-2008: Canal+ fait le ménage

Les lois de la concurrence s'appliquent et TPS et Canal+ s'avancent dans une surenchère qui fait monter les prix. Mais en 2004, Canal réussit un coup de force à 650 millions d'euros par saison. Pour cette somme record, elle rachète la totalité des droits de Ligue 1. TPS, qui a perdu sa raison d'être, est rachetée par Canal+ fin 2005.

Canal+ reste seul diffuseur du championnat pendant quatre ans et limite la hausse des droits.

2008-2012: cohabitation avec Orange

En 2008, un nouvel acteur, Orange, l'opérateur historique des télécoms, entre sur le marché et arrache une partie des droits: il diffusera le match du samedi soir.

Canal+ garde la part du lion et son rendez-vous rituel du dimanche soir. La Ligue obtient une somme annuelle de 668 millions d'euros (465 versés par Canal+, 203 par Orange), nouveau record.

2012-2016: internationalisation des droits avec beIN

Le Qatar, qui a fait du sport un élément central de sa politique d'influence dans le monde, rachète une partie des droits du football français - après s'être offert le PSG en 2011. Baptisée beIN Sports, la chaîne sportive du groupe qatari Al-Jazeera entre à petits pas sur la scène hexagonale. Lors de l'appel d'offre couvrant la période 2012-2016, elle prend les 3e et 4e meilleurs matches, ainsi que les droits internationaux de la L1 et ceux de la Ligue 2, tandis que Canal+ garde les deux meilleures affiches. La totalité des droits atteint 607 millions par an, en légère régression.

2016-2020: Canal+ évincé, crash de Mediapro

Au terme de l'appel d'offre mené en 2014, la période 2016-2020 est adjugée pour 726,5 millions d'euros la saison (sans compter les 22 millions pour la L2). Canal+ garde les meilleures affiches mais beIN Sports continue son expansion et garde les droits internationaux. Canal+ intente un procès contre beIN pour "concurrence déloyale". Et le perd. 

Quatre ans plus tard, à l'issue des négociations pour la période 2020-2024, Canal+, à bout de souffle, n'obtient aucun lot, une première depuis 1984 (la chaîne cryptée rachètera par la suite les deux matches par journée obtenus par beIN).

L'attribution des droits atteint 1,153 milliard d'euros, dont 800 millions pour le groupe sino-espagnol Mediapro. De la Ligue aux clubs, l'ensemble des acteurs se congratulent. 

Mais le milliard est un cadeau empoisonné: à l'automne 2020, Mediapro, qui diffuse les matches sur sa chaîne Téléfoot, est incapable de payer. Une crise sans précédent s'ensuit, jusqu'à la rupture de contrat décidée par la Ligue.

- 2020-2023: Prime Video prend la main

Après le crash, Amazon fait une entrée en force dans le paysage médiatique du foot français en récupérant en juin 2021 80% des matches pour la période 2021-2024, dont les dix plus belles affiches de chaque saison, pour 250 millions d'euros par saison.

Canal+ se sent lésée, elle qui débourse chaque saison 332 millions dans le cadre de l'accord de sous-licence avec beIN pour simplement deux matches. Elle entre en conflit avec la Ligue, mais perd chaque bataille judiciaire et doit honorer son contrat.